• textes 2001-2003 (Il se lève. Il a mal au crâne...)

    Il se lève. Il a mal au crâne et le goût d'un poussin mort dans la bouche. Il se gratte la tête et se dirige vers la cuisine. Le bruit du café qui passe et celui du frigo résonnent à l'intérieur de lui, insupportable. Il attrape une tasse en tremblant et s'assoie. Il essaye de se rappeler ce qu'il a fait hier. Le début lui revient facilement.
    Il la regarde partir, et après plus rien.
    Il regarde son reflet dans sa tasse de café. Il a vraiment une sale gueule. Il boit. Il a mal au ventre. Ses intestins sont serrés. Il peut presque entendre le liquide tomber dans son estomac. Dans un écho sans fin. Une bonne douche, qui ne l'a réveillée que quatre minutes,
    Trois jours qu'il n'était pas sorti, essayant d'écrire un roman. N'étant pas arrivé à écrire une seule ligne, il avait invité quelques amis pour un apéritif, qui s'était finalement terminé à deux heures du mat', tout habillé, sur le canapé, les yeux fermés et les derniers invités éteignant la lumière et fermant la porte, en partant de l'appartement, lui souhaitant une bonne nuit. Il regarde le chantier autour de lui et il lui manque un élan de motivation pour ranger.
    Pourquoi part-t'elle si tôt ?_Peut-être qu'il aurait trouvé les mots pour lui faire sa confession. Pour lui dire que rien a changé. Qu'elle envahit toujours ses nuits avec ses regards qu'il ne peut pas occulter. Ses petits yeux noirs, qui volent la lumière de La Lune, à chaque fois que deux petites fossettes viennent se poser aux coins de ses lèvres. Quand elle lui sourit, il se casse en mille morceaux. Un château de cartes sur lequel elle a soufflé. Quand elle demande s'il va bien, il ne peut que répondre avec un sourire ahuri: «ouhais! ouhais! ça va bien!». Alors que, merde, ça va pas! Il ne l'a pas oublié. Il repense encore à sa peau blanche, à son parfum, à ses... Il est resté loin, honteux, à la regarder, muet, sans parole, un peu psychopathe, à garder les meilleures images pour lui._Il ne veut rien donner._Il veut tout garder pour lui._Il ne lui reste pas grand-chose._Quelques photos et beaucoup de souvenirs.
    Un an pourtant que cette histoire est finie. Il avait presque tout oublié. Elle revient comme un mauvais cauchemar. Comme une araignée au plafond, lâchant sa toile pour tomber sur les couvertures. Il remue ses membres frénétiquement pour l'éloigner. Sa phobie reste présente. _[ Comme un moustique dont il n'arrive pas à se débarrasser, obligé de rallumer la lumière, de se lever. Immobile au milieu de la chambre, les yeux à moitié ouverts, échangeant les rôles. Chasseur de ce suceur de sang, attendant de le repérer, à l'affût, le pantoufle comme arme, la haine comme moteur. Vainqueur de ce vampire, il contemple avec fierté, la vulgaire tâche sur le papier peint. ]_Elle est tout ce qu'il déteste. Il a trop pleuré pour souffrir encore une fois. Il était presque tranquille. Un an et un peu d'eau avait passé sous les ponts. Il a fallu qu'il la revoie, qu'il presse et essore son coeur de tout son jus. Il voudrait baigner dans cette hémoglobine. Et se noyer.
    Elle est arrivée, resplendissante. Il l'a accueillie, lui a fait une bise et il s'est dirigé vers le bar. Il l'a observée du coin de l'oeil toute la soirée. Il avait pourtant préparé ce discours. Des phrases qu'il connait parfaitement, tant il les a répétées, pendant un an, tous les soirs, avant de s'endormir. Perfectionnant chaque syllabe. Il ne lui a pas parlé depuis le jour fatidique de novembre où elle l'a plaqué. Le jour où il n'a rien dit. Il a fermé sa gueule, un an plus tard il continue. Avec ces idées noires comme du café, son roman n'a pas commencé. La vue du salon en ruine ne le réconforte pas beaucoup. Il s'assoie devant le moniteur. Les dix doigts sur le clavier, même s'il sait qu'il n'en utilisera que deux, il ne veut pas prendre le départ avec la moindre incertitude. Il veut partir gagnant._Raconter toujours la même chose._Ne pas avancer._Rester sur place, rester sur la même case._En prison! Regarder passer les autres joueurs, en simple visite._S'enfermer tout seul. Il n'a besoin de personne. Attendre le double six. Combien de temps quand on a pas de chance ? La chance et le courage lui font défaut. Il préfère la fuite. _Il préfère oublier._Il préfère essayer d'oublier._Une plaie si profonde ne se referme jamais. Comme son arcade sourcilière ouverte, dans la cour de l'école, alors qu'il avait quatorze ans. Il entend encore les rires de ses amis, dans le noir que lui donnait à voir son évanouissement. Comme Edouard embrassant cette fille, l'après-midi où il allait ouvrir son coeur et sa bouche, avouer son amour, dans la cour de l'école, alors qu'il avait quatorze ans. Il entend encore les rires de cet ami, quand il l'a plaqué trois jours après._Ce soir-là, il a pleuré._Mais ce soir ses yeux sont secs.«Je manque de vocabulaire. Je raconte toujours la même histoire, car mon histoire ne change pas. Si ma vie prenait un autre tournant, peut être que mes récits deviendraient intéressants. Tant que je ne ferai pas avancer mon putain de p'tit ch'val. Tant que je resterai sur cette putain de même case. Je ne risque pas de gagner la partie.»La nuit tombe, il en est au stade de la page blanche. La nuit tombe vite en décembre. Il regarde son ordinateur allumé, le logiciel Word ouvert et le blanc. Il peut lire une phrase, en gros caractère : JE N'ARRIVE PAS A ECRIRE. Il efface. Il se laisse absorber par l'écran. Il rêve un peu. Il y a tellement de merde dans son coeur, qu'il devrait réussir à écrire quelque chose. Ses sentiments regorgent de matière fécale. Il déborde de purée grise. Gris comme le ciel de Paris en automne, et toute l'année aussi. Rien, pas une phrase, pas un mot, pas une lettre d'où pourrait découler un texte sans prétention, une base, un point de départ...

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